Préambule
Les progrès de l’intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus visibles chaque jour dans la sphère professionnelle. À mesure que son accessibilité se démocratise, de nouvelles questions émergent. Parmi celles-ci se trouve la survie de nombreux métiers dont les missions sont ou seront réalisables plus efficacement par cette technologie.
Les métiers de la relation humaine ne sont pas épargnés, notamment dans le domaine de l’accompagnement professionnel.
Comment les experts en bilan de compétences peuvent-ils réagir face à la capacité de l’IA à analyser de grandes quantités de données ? Doivent-ils craindre que leur métier disparaisse, ou est-ce une chance de repenser leur façon de travailler ?
État des lieux.
L’IA : un outil puissant dans l’accompagnement
L’IA va indéniablement révolutionner de nombreux aspects du bilan de compétences. De plus en plus d’outils, utilisant les différents aspects de cette technologie, permettent d’analyser les compétences d’un individu, d’identifier ses perspectives d’évolution et fournir des recommandations personnalisées. Ces outils offrent une efficacité et une précision remarquables dans certaines tâches :
- Analyse rapide et approfondie des CV et des parcours professionnels
- Exploration en temps réel des tendances du marché du travail
- Identification des compétences manquantes et suggestion de formations adaptées
Les cas d’usage de l’utilisation de l’IA dans le cadre du bilan de compétences
Il est difficile d’être exhaustif sur les problématiques que permettent de traiter l’IA. Pour autant, après plusieurs échanges et ateliers que j’ai pu réaliser avec des professionnels de l’accompagnement, certains cas d’usage ressortent fortement.
Associés à des outils comme ChatGPT, Perplexity ou encore Claude, ces situations peuvent faire l’objet de prompts (autrement dit des instructions). Je vous propose dans ce tableau quelques exemples de ces cas d’usage.
Bien entendu, ces prompts sont génériques, et il convient d’intégrer de bonnes doses de personnalisation pour obtenir des résultats probants. Cette alimentation à base de données personnelles n’est d’ailleurs pas sans poser des questions comme nous le verrons dans la suite de l’article.
Bien sûr, l’IA permet d’ores et déjà de gagner du temps tant pour le professionnel que pour la personne accompagnée. Pourtant, ce n’est pas là le principal enjeu. En réalité, l’IA enrichit notre capacité de réflexion, permet de gagner en granularité et ouvre la voie à ce que l’on pourrait appeler un « accompagnement amélioré ».
Les limites de l’IA dans l’accompagnement
Malgré ses capacités, l’IA présente des limitations significatives qui rendent improbable un remplacement total des professionnels de l’accompagnement à court ou moyen terme.
Manque d’intelligence émotionnelle
L’accompagnent aux transitions professionnelles, avant d’être une activité nécessitant de la technicité professionnelle, est un acte profondément humain. Par cette dénomination, on entend qu’il s’agit de comprendre et de répondre aux besoins émotionnels d’un bénéficiaire dans un contexte donné. En effet, le bilan de compétences amène souvent à se poser des questions intenses sur sa propre identité, tant professionnelle que personnelle, ce qui peut faire remonter des émotions enfouies. Cela nécessite beaucoup d’empathie et de soutien émotionnel de la part des conseillers.
Et si j’ai bien une certitude actuellement, c’est qu’il y a peu de gens prêts à accepter que l’IA prenne en charge cet aspect humain de l’accompagnement, et ce, même si la technologie parvient de mieux en mieux à simuler ces interactions.
Difficulté à comprendre des contextes complexes et pluriels
Les algorithmes, bien que puissants, manquent de discernement contextuel. Un conseiller humain peut :
- Interpréter des situations complexes avec de nombreuses variables : séparation, maladie, licenciement…
- Comprendre les subtilités culturelles liées à la famille, l’origine ou encore la religion
- Renvoyer à sa propre expérience. Autrement dit, créer un « effet miroir » permettant d’humaniser la relation
Ce dernier point me parait crucial, puisqu’il symbolise ce qu’on vient chercher dans un accompagnement : bénéficier de la dimension expérientielle de la personne qui accompagne. C’est aussi une des raisons qui me fait dire que l’accompagnement humain a de l’avenir, quand bien même la puissance et les possibilités de l’IA seraient multipliées par 10 ou 100.
Risques éthiques et juridiques
L’utilisation de l’IA soulève bien sûr des questions éthiques et juridiques, notamment en matière de protection des données personnelles.
En effet, il existe une véritable géopolitique de l’IA, où la majorité des services sont détenus par des entreprises privées qui ne sont pas nécessairement animées par des objectifs philanthropiques, et qui opèrent souvent en dehors des cadres réglementaires français et européens.
De plus, pour améliorer leurs offres et optimiser la qualité des intelligences artificielles, celles-ci nécessitent davantage d’informations, donc des données sur lesquelles elles s’alimentent. C’est là le nœud du problème.
Dans le cadre du bilan de compétences, la réglementation encadre strictement la divulgation des données, stipulant que « les résultats détaillés et le document de synthèse ne peuvent être communiqués à toute autre personne ou institution qu’avec l’accord du bénéficiaire » (article L6313-4 du Code du Travail).
De plus, si le RGPD impose d’ores et déjà des restrictions strictes sur le traitement automatisé des données, un palier supplémentaire va être franchi avec l’application progressive de l’AI Act de l’Union européenne à partir du 2 février 2025.
Ce texte vise à réguler les IA à « risques élevés » et impose des obligations de transparence et de sécurité pour éviter les discriminations et garantir la protection des données personnelles. Toutefois, cette approche par les risques ne sera contraignante que dans des cas spécifiques (biométrie, notation sociale, usage répressif…).
En réalité, la grande majorité des systèmes d’IA à usage grand public ne seront soumis qu’à une obligation de transparence.
Cela devrait obliger sous peu les centres de bilans de compétences à statuer sur une politique en matière de bonnes pratiques et sur les informations fournies aux services utilisant l’IA, notamment en ce qui concerne l’anonymisation des données des bénéficiaires et l’usage de données sensibles (handicap, religion…). Le besoin de créer des IA fermées pourrait également se faire sentir d’ici peu.
Vers une collaboration homme-machine
Plutôt qu’un remplacement, l’avenir semble donc se diriger vers une collaboration étroite entre l’IA et les professionnels de l’accompagnement.
Augmentation des capacités humaines
L’IA pourrait agir comme un assistant puissant, permettant aux conseillers de se concentrer sur les aspects relationnels et stratégiques de l’accompagnement. Par exemple, l’IA peut générer des rapports détaillés plus rapidement que le conseiller, ce qui lui permettra de se concentrer sur l’interprétation et la contextualisation auprès du bénéficiaire.
Remise en question de ses pratiques
Bien que la plupart des personnes qui exercent bénéficient déjà d’échanges de pratiques entre pairs, l’IA pourrait avoir un rôle de tiers, permettant de challenger la méthodologie des conseillers en bilan de compétences, d’améliorer les exercices, ou d’envisager autrement une situation complexe rencontrée dans le cadre de l’accompagnement.
Personnalisation accrue
La combinaison de l’analyse de données par l’IA et de l’expertise humaine devrait à terme permettre une personnalisation sans précédent des bilans de compétences. En utilisant la finesse des réponses apportées par l’IA, les tests de personnalité, l’analyse des compétences et l’expérience des consultants, l’accompagnement pourrait gagner encore en individualisation et en pertinence.
Conclusion : Une évolution, pas une révolution
L’IA ne remplacera probablement pas les professionnels de l’accompagnement dans un avenir proche. Elle s’impose plutôt comme un outil complémentaire puissant, permettant d’enrichir et d’optimiser le processus d’accompagnement.
L’avenir réside dans une synergie entre l’expertise humaine et les capacités de l’IA, offrant un accompagnement plus riche, plus précis et plus personnalisé. Tout comme lors de l’avènement du Web 2.0, les professionnels de l’accompagnement qui sauront intégrer l’IA dans leur pratique, tout en préservant la dimension humaine essentielle de leur métier, seront les mieux placés pour répondre aux besoins évolutifs des individus en quête de développement professionnel.