Depuis sa création en 2019, la certification Qualiopi suscite une forme de double sentiment dans la communauté des organismes de formation.
L’attrait d’abord : pour beaucoup d’acteurs du milieu, il est devenu impératif d’obtenir ce précieux sésame qui donne accès aux financements publics et paritaires (CPF, OPCO, Pôle emploi…).
Le rejet également, car les exigences de la certification peuvent paraitre parfois démesurées pour certains acteurs au regard de leur organisation ou du marché sur lequel ils interviennent.
En octobre 2023,un peu moins de 45.000 OF, CFA, centres de bilan de compétences, et d’accompagnement VAE détenaient la certification. Pour autant, une tendance est en train d’émerger : de nombreuses structures commencent à se détourner de Qualiopi. Premiers signes de ce reflux : le nombre de certifiés Qualiopi a eu tendance à stagner, voire à diminuer au cours de l’année 2023.
Si on ne peut pas encore parler d’hémorragie, la parole commence à se libérer du côté des organismes, souvent indépendants, pour évoquer une autre voie possible, sans la certification. Plusieurs personnes ont accepté de témoigner, parfois de manière anonyme, pour nous expliquer pourquoi elles ont renoncé ou envisagent de renoncer à Qualiopi.
Une complexité administrative difficile à gérer au quotidien
Les interviewés sont unanimes sur ce point : la certification génère une charge de travail supplémentaire au quotidien. Pour Yohan Pagnoux, consultant/formateur en gestion de projet et gestion de produit, Qualiopi génère « beaucoup trop de procédures et une perte de temps”.
Jacques (nom modifié), consultant/formateur, pointe lui une “aberration du système”. A un moment donnée, “je passais mon temps à faire du papier” .
Julie Teillet, fondatrice de CYPRe Conseil RH renchérit sur le fait “qu’au-delà du temps à mobiliser quand on est indépendant, c’est également une charge mentale”, avec “la peur de mal faire, d’oublier une pièce dans un dossier”. Gisèle (prénom modifié), formatrice indépendante confirme :
“Quand je vois d’autres entreprises vendre des « formations » sans NDA ni Qualiopi, être plus sereins, c’est à se poser la question de continuer.”
Cette difficulté à faire vivre ce système qualité se double également des exigences liées aux financements publics eux-mêmes. Car pour la majorité des organismes, c’est bien cette manne qui légitime l’obtention de la certification. Ainsi, pour Céline Pinto, fondatrice de “Ma PME Communique”, c’est bien la perspective de proposer une offre financée par le CPF ou par les fonds OPCO qui a motivé le passage de Qualiopi. Cependant, elle a vite déchanté au regard des “exigences et des modalités de paiement des financeurs (critères de prise en charge, délais de paiement, référencement…)”.
Julie Teillet pointe le même écueil avec une “complexification de la facturation” et des délais de paiement qui frisent les 4 mois en moyenne en sollicitant des fonds publics.
Une baisse des financements qui accélère la transition
La baisse de certains financements publics est également avancée comme un argument, ce qui amène la réflexion sur l’intérêt de l’obtention de Qualiopi. Yohan Pagnoux note ainsi :
“le CPF est verrouillé et les financements OPCO ne font que diminuer…”
Ludivine (prénom modifié), formatrice indépendante, dresse le même constat, et note que son chiffre d’affaires “est passé en peu de temps de 50 % financé par les OPCO à 0 %.” Cet état des lieux l’a amené à fortement interroger le maintien de sa certification.
Gisèle partage le même constat : “les financement OPCO fondent à vu d’œil pour la formation en ligne (certains ne prennent que 10 euros de l’heure en charge). On dénigre la formation en ligne en France. Pourtant, un organisme sérieux passe parfois plus de temps dans le suivi que dans une formation en présentiel. “
Pour Jean-Christophe Maumelat, gérant de “Les entrepreneurs de la formation”, c’est sa dépendance aux fonds OPCO qui a entraîné le passage Qualiopi, mais il a souhaité pivoter son modèle économique pour ne plus être dépendant de financements trop fluctuants.
Un coût trop élevé par rapport à ses bénéfices
Le coût de Qualiopi s’avère un des points cruciaux. Et celui-ci est souvent mis en balance par rapport aux retombées positives pour sa structure. Pour beaucoup, le compte n’y est pas.
Pour Julie Teillet, c’est le coût de maintien de son système Qualiopi qui est problématique. Cela lui prend environ “2 jours par mois”, soit près de 10 % de son temps pour réaliser les enquêtes satisfaction, les relances, ou encore réaliser sa veille et en mesurer l’impact. Ce temps de non-production n’est pas sans conséquence sur sa capacité à prospecter et à réaliser des prestations.
Céline Pinto dresse, elle, un constat amer de son investissement de 6 000 euros comprenant : un accompagnement à Qualiopi, le coût de l’audit, mais également un forfait pour obtenir une habilitation d’un certificateur et proposer une offre au CPF. La perte de la certification par son partenaire – et donc l’impossibilité de proposer une offre CPF – ainsi que le peu de demandes OPCO (2 sur l’année) ont été une vraie remise en question de la certification.
Yohan Pagnoux déplore lui “la complexité de l’enregistrement des certifications au RS ou au RNCP” que ce soit le coût en termes de temps et d’argent. Or, pour lui, un des principaux attraits de Qualiopi résidait dans l’accès au CPF. En restreignant les conditions d’accès à ce financement, cela suscite mécaniquement un moindre intérêt pour Qualiopi.
Ce constat est en lien avec la baisse générale des financements de la formation constatée depuis 2021 (hors apprentissage et demandeurs d’emploi).
Un choix politique et philosophique…
Au-delà de ces aspects très pragmatiques, la distance prise avec Qualiopi revêt également un caractère politique, voire philosophique pour certain(e)s.
Celle-ci fait écho en miroir aux raisons initiales d’obtenir Qualiopi pour certains organismes. Gisèle témoigne ainsi : “J’avais beaucoup de demandes de financement CPF donc il m’a paru logique de continuer vers Qualiopi. Je voyais aussi Qualiopi comme une promesse de mettre en avant des organismes sérieux dans la gestion de leurs apprenants et formations.”
Jacques met également en avant son idéalisme pour être rentré dans la démarche:
“J’étais bon élève et je pensais que ça allait assainir le marché. J’ai d’ailleurs été un des premiers certifiés Qualiopi de France”.
Pourtant, 3 ans après, pour cet indépendant qui ne renouvellera pas sa certification, c’est la désillusion qui prime. Au banc des accusés, un système à 2 vitesses qui laisse de côtés les indépendants, peu à même de répondre aux exigences du référentiel au quotidien.
Yohan Pagnoux déclare de son côté qu’il “n’a plus envie d’être dépendant de processus qui évoluent trop souvent”.
Céline Pinto va encore plus loin : “J’ai créé ma boite pour être libre, mais je me suis rendu compte que je faisais tenir mon business sur des contraintes de l’État, qui plus est en constante évolution. En fait, je ne veux simplement plus être suspendue à ma boite mail en attendant une nouvelle exigence de France compétences ou d’un certificateur”.
Jean-Christophe Maumelat souligne de son côté “Ce passage par Qualiopi m’a amené à m’interroger sur ma vision du marché et les valeurs que je veux défendre. Ça a été un accélérateur de transformation qui m’a poussé à travailler sur ma propre identité ”.
…qui entraine également un changement du modèle économique
Se passer de Qualiopi n’est pas sans incidence sur le modèle économique des organisations.
Pour Yohan Pagnoux, dont le chiffre d’affaires est généré exclusivement par “des clients en BtoB ou BtoC qui payent en fonds propre” la transition s’est fait naturellement. Pour d’autres cela n’a pas été aussi évident, car le changement de modèle peut rarement se faire en quelques semaines.
Jean-Christophe Maumelat s’était ainsi donné “2 ans pour pivoter mon modèle économique et ne plus être dépendant des financements”, ce qu’il a réussi à faire avec succès.
Se pose également la question de savoir si l’absence de Qualiopi est un frein pour d’éventuels clients, quand bien même des financements publics seraient en jeu. Pour la majorité des répondants, Qualiopi n’est jamais un sujet pour leurs clients, sauf exception.
Ludivine déclare ainsi qu’elle ne considère pas l’absence de Qualiopi comme un désavantage concurrentiel, car elle se concentre sur la qualité de la relation avec ses clients plutôt que sur les financements publics.
Céline Pinto confirme que le sujet de Qualiopi est peu abordé avec les TPE et PME avec qui elle travaille. Elle conclut ainsi :
“Ce qui fait la fidélisation de mes clients, ce n’est pas Qualiopi, c’est la qualité ressentie de mes formations et l’impact que je génère”.
Les bienfaits de Qualiopi malgré tout
Mais le portrait serait incomplet si on n’évoquait pas les apports positifs que les interviewés retiennent de leur passage par la certification.
Ainsi, Jean-Christophe MAUMELAT reconnait volontiers l’impact positif de Qualiopi sur ses processus internes, mais également sur sa proposition de valeur auprès de ses bénéficiaires.
Céline PINTO poursuit :
“Qualiopi m’a apporté de la rigueur, m’a permis d’intégrer l’évaluation systématique de la formation, et m’a incité à continuer à me former en permanence.”
Ludivine confesse également : “Ça a aidé à structurer ma démarche qualité”. Par ailleurs, elle reconnait qu’avoir Qualiopi “reste un service que je peux offrir à mes clients en termes d’accès à des financements publics si besoin”.
Yohan Pagnoux est dans la même lignée : “Qualiopi peut se révéler un avantage en termes financiers et marketing selon son marché”.
Ce qui ferait qu’ils reviendraient ou resteraient dans la démarche
Enfin, nous avons demandé aux principaux intéressés s’ils pourraient réintégrer la démarche Qualiopi après l’avoir quitté.
Pour ceux qui ont franchi le pas, le retour en arrière semble difficilement possible. Gisèle résume en une phrase, ce que beaucoup ont exprimé au cours de ces échanges : ‘Qualiopi n’est pas, pour moi, au RDV de ses promesses.”.
Toutefois, comme tempère Céline PINTO, le retour vers Qualiopi pourrait éventuellement s’envisager “si mon développement commercial en dépendait absolument”.
Yohan Pagnoux évoque lui qu’il pourrait y réfléchir “si le processus de certification était simplifié”, en tenant compte, notamment, des spécificités des indépendants.
Enfin, pour Julie Teillet, le maintien de la certification Qualiopi peut aussi dépendre des secteurs avec lesquels on travaille. Ainsi, elle évoque sa situation où son organisme est amené à travailler
“avec des secteurs d’activité très sensibles aux normes, et pour qui, Qualiopi fait écho à leur propre processus Qualité”
Au final, ces témoignages démontrent que Qualiopi ne revêt pas un caractère obligatoire, et n’empêche pas d’intervenir en tant que prestataire de formation dans un marché non-réglementé. S’inscrire dans la démarche Qualiopi est donc à la fois affaire de stratégie économique, mais également une histoire de conviction personnelle, de disponibilité opérationnelle et parfois de choix idéologique propre à son histoire et son rapport à la formation.
Pour faire écho à ces témoignages et aller plus loin, la dernière enquête DARES sur le sujet nous livre également les raisons pour lesquelles les organismes renoncent ou décident d’intégrer Qualiopi, et ce qu’ils en retirent.